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L'homme de Kaboul
2 mars 2011

L'homme de Kaboul, ou l'histoire d'un pays ancré dans ses traditions

Par Latite

Tout d’abord, je tiens à remercier Canalblog et les éditions Robert Laffont pour l’envoi de ce livre, qui a été un très beau coup de cœur. L'Afghanistan n’est pas souvent un sujet de prédilection pour les thrillers, et  je félicite l’auteur, Cédric Bannel, pour la qualité de son ouvrage et de son style. Prenez ce livre en main et vous pourrez plus le lâcher. A travers le récit, on découvre en effet tout un peuple, une culture, un état de guerre, souvent relayé dans les médias mais à l’impact atténué. Ici, tout est brut, et il n’y a pas de langue de bois. On se retrouve à vivre le quotidien d’un chef de brigade, qui va essayer de boucler son enquête en dépit du contexte et des tueurs envoyés à ses trousses. Attentats à la bombe perpétrés par les intégristes, le contrôle des talibans, et surtout l’idéologie religieuse, ce roman nous fait à la fois frissonner, mais également réfléchir sur une réalité qui dépasse nos frontières. Si l’enquête m’a charmé, l’aspect social m’a totalement conquise. J’aime l’étude de l’histoire des peuples, des religions. Ici, Cédric Banner nous livre un pays ancré dans ses traditions, dans sa guerre, dans ses idéologies, mais sans jugement hâtif, sans fioritures ni dramatisme. L’aspect qui m’a le plus marqué a été la place des femmes dans la société Afghane. Rabaissées, considérées comme des objets, leur situation m’a fait mal, et j’ai eu plusieurs fois les larmes aux yeux. Si ce livre est un roman, on ne peut oublier que derrière ces mots se cachent des réalités. Les femmes sont battues, violées, vendues, vitriolées, enfermées dans des codifications sociales. Et l’auteur a su parfaitement jongler avec ça, nous montrer les avis masculins (car Oussama est un croyant éduqué avec des préceptes clairs en ce qui concerne les femmes) et féminins (la femme d’Oussama fait partie d’un mouvement de révolution féminine). Et pour vous montrer combien la plume de l’auteur pose les choses telles qu’elles sont, voici quelques extraits :

-Le Coran n'exige rien du tout, c'est une lecture biaisée. Dans ce pays, tout est fait pour nous asservir. Le Corant dit ceci, le Coran dit ça, toujours dans le même sens, bien sûr. Humilier les femmes. Les asservir. Les rabaisser. C'est le Coran qui exige que les femmes passent l'aspirateur peut-être? En Amérique, les hommes passent l'aspirateur chez eux.

- Malalai, c'est absurde, aucun homme ne passe l'aspirateur!

- Si, je l'ai lu dans un magasine !

- C'est un mensonge!

[...]

- Je dois vous annoncer que j'ai décidé de prendre une seconde épouse.

- Toi? s'exclama Oussama, interloqué.

- Eh oui. Je sais, je ne vais pas aussi souvent que vous à la prière, je pourrais être un meilleur croyant ...

- Alors pourquoi prendre une seconde épouse? 

- Ma première femme commence à me poser des problèmes, avoua Babrak. Elle critique mes horaires de travail, elle ne veux pas aller chez mes parents, elle se plaint des coupures de courant dans le quartier. Le mollah de mon quartier m'a affirmé que prendre une seconde épouse était le meilleur moyen de m'assurer que la première cessera de ma causer des ennuis.

- Je croyais que tu l'aimais.

- Mais je l'aime.

- C'est un peu court comme raisonnement. Mets-toi une seconde à sa place : si tu étais une femme, tu serais mortellement blessée que ton mari convole avec une autre.

- Ca oui! répondit Babrak en éclatant de rire.

Devant le regard de son chef, il s'arrêta brusquement.

[...]

Une discussion s'amorça rapidement. Le mécanicien était une vraie pipelette, ils discutèrent avec animation de la décision des talibans d'une province de l'est de plafonner la dot à mille dollars pour une première épouse et à sept cents pour une deuxième. Un grand débat s'était ouvert à ce sujet. On ne parlait que de ça. Le mécanicien était d'avis qu'il fallait également codifier l'écart de dot entre une vierge et une épouse "d'occasion". Le policier approuva bruyamment, révélant à son nouvel ami qu'il était  lui-même sur le point d'acquérir une seconde épouse, neuve de surcroit. (NB: je trouve le vocabulaire de l'auteur totalement révélateur de la condition féminine là-bas ^^)

[...]

Et voici l'extrait qui m'a le plus "choqué", mais que j'ai trouvé tellement juste. Démonstration des aberrations et contradictions commises pour une religion (telle qu'elle soit).

Oussama avisa une femme allongée sur une civière dans une mare de sang. Un homme, vraisemblablement son mari, criait à tue-tête.

- Que se passe-t-il? demanda Oussama à un témoin qu'il avait reconnu, un professeur de l'université de Kaboul.

- Cette femme se vide de son sang, elle était dans le bus. Elle est en train de mourir, mais son mari ne veut pas qu'elle soit approchée par des infirmiers. On a trouvé deux infirmières à l'intérieur de l'hôpital, mais une autre famille les a empêchées de s'approcher, au prétexte qu'elles n'étaient pas suffisamment voilées... Elles sont soit-disant allées mettre une burqa, mais ne reviennent pas ...

Oussama regarda la tache de sang qui s'agrandissait sous la civière. Il poursuivit son chemin. [...] En sortant, il vit que la civière où reposait la femme blessée quelques minutes plus tôt était recouverte d'un drap.

- Que lui est-il arrivée? demanda-t-il à un témoin bouleversé.

- Elle s'est vidée de son sang, personne n'a pu se mettre d'accord sur qui pouvait la transporter...

Le mari pleurait. Deux brancardiers apparurent, ils chargèrent la civière avec le cadavre et s'éloignèrent.

- Vous laissez des hommes l'approcher, maintenant? ne put s'empêcher de demander Oussama au mari, dépassé par l'attitude de ce dernier.

-Maintenant elle est morte, ce n'est pas grave qu'un homme l'approche, répliqua l'homme entre deux sanglots.

Il n'y avait rien à répondre à ce délire. 


Un livre qui restera sur mon étagère des "inoubliables" de 2011 !

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Commentaires
L
Coucou Latite !<br /> Décidément, ce livre fait l'unanimité !<br /> Ta chronique est très chouette !
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