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L'homme de Kaboul
1 mars 2011

Le nouveau thriller de Cédric BANNEL : à lire dans le silence de votre boudoir...

Par François Léger

Certes, comment pourrais-je vous donner tort de trouver ce titre quelque peu sibyllin ? Mais, depuis le temps que vous venez lire ma recension littéraire mise en ligne le 1er de chaque mois, je suis certain qu'il ne vous rebutera point et que, au contraire, vous aurez envie d'en savoir davantage sur ce titre qui, à mon avis, est celui qui convient tout de même le mieux pour vous présenter le dernier ouvrage de Cédric BANNEL : "L'homme de Kaboul", qui sortira chez votre libraire dès le 3 mars.

Nombre d'entre vous ont dû être surpris de me voir employer le mot "thriller" alors que je suis un ardent défenseur de la langue française, mais je l'ai fait après mûre réflexion et consultation du "Dictionnaire historique de la langue française". Celui-ci m'ayant indiqué que ce mot était passé en français, depuis 1947, à propos de récits policiers ou fantastiques procurant des sensations fortes, je me suis cru autorisé à l'employer.

Quant à ce titre : "Le nouveau thriller de Cédric BANNEL : à lire dans le silence de votre boudoir...", il me semble bien faire comprendre que vous n'aurez pas là - entre les mains - un  roman de kiosque de gare que vous pourrez lire bien installé dans votre fauteuil de salon, votre épouse assise dans l'autre fauteuil et regardant la télévision tandis que vos enfants se chamailleront à vos pieds !

De fait, si ce livre est difficile à définir d'un mot pour différentes raisons, il est évident que c'est un très bon livre que l'on referme en s'étant enrichi l'esprit après l'avoir lu avec la plus grande attention possible, voire une véritable concentration... Cela a été mon cas et vous vaut les lignes qui suivent.

Si, à mon grand regret, je n'ai pas pu "prendre possession" de ce livre pour en avoir reçu les "secondes épreuves" avant parution qui ne comportent pas la célèbre Quatrième de couverture présentant le synopsis et une petite biographie de l'auteur, je me demande dans quelle catégorie d'écriture classer cet ouvrage...

D'ailleurs, il est évident que l'éditeur a dû avoir la même hésitation après une dernière appréhension de ce travail qu'il m'avait annoncé comme un "thriller" alors que la couverture des épreuves présente un "roman", ce qui sera le cas sur la couverture définitive que vous découvrirez bientôt ! Vous devez vous demander pourquoi je m'attarde sur cette classification, mais vous allez comprendre qu'elle a tout son sens dans la mesure où l'on peut voir ici un "simple thriller", ou un  roman qui serait alors de libre facture en raison d'un vocabulaire souvent relâché ou encore une sorte d'essai caché sous une très belle structure d'écriture que serait cette histoire de policiers, de services secrets et de barbouzes de tous clans !

Pour ma part, je vous le dis tout net : je pense que Cédric BANNEL - qui a certes bien monté ses réseaux d'espionnage, contre-espionnages, etc... dans ce travail - a fait le mauvais choix en n'osant pas se lancer dans un essai pour lequel il avait déjà réalisé en amont tout le travail nécessaire.

Un incorruptible dans la police d'Afghanistan...

Mais, brisons là : ceci n'est qu'une opinion personnelle ! Découvrons bien plutôt le personnage principal : Oussama Kandar, commandant en chef de la brigade criminelle de Kaboul. Un homme intègre et incorruptible qui, en tant que fonctionnaire du régime, est une cible pour les talibans même s'il est connu pour sa piété; un homme qui va se retrouver avec un meurtre maquillé en suicide sur les bras. Une rencontre du commandant en chef de la brigade criminelle de Kaboul et d'un mort, qui semble avoir été quelqu'un d'important, est assez peu banale dans la mesure où le policier trouve un représentant du gouvernement sur place à son arrivée, un représentant du gouvernement qui veut visiblement conclure très vite au suicide et classer l'affaire.

Sans le savoir, Oussama Kandar, en voulant absolument mener son enquête, met un pied dans la fourmilière : un dossier explosif qui a, bien évidemment, des ramifications internationales, notamment en Suisse; un dossier que, comme d'habitude, je ne vous raconterai pas : sinon, où serait le charme de la lecture de l'ouvrage ? Pourriez-vous encore avoir quelques montées d'adrénaline à certains moments de votre découverte ?

En revanche, je vous ferai immédiatement part d'une réflexion adressée par l'épouse d'Oussama Kandar à celui-ci car elle résume bien la situation qu'est celle des habitants de ce pays : " Je préfère les communistes aux talibans. Au moins, avec eux, les femmes avaient des droits" !  Et, le narrateur de conclure : "Oussama ne répondit pas, sachant que son épouse avait raison" (p. 33)... Ainsi, en quelques pages, on voit que ce pays respire la joie de vivre, à condition de rester en vie...

Précisions et détails...

Mais, pour être tout à fait honnête, il me faut reconnaître que Cédric BANNEL prend largement son temps pour mettre ses pions en place et dépeindre la vie régnant dans ce pays : il donne, dans les premières pages, l'impression de tout délayer à souhait comme ces vieux correspondants de presse qui, payés à la ligne, ajoutaient le maximum de détails sans se demander si ceux-ci apportaient quelque chose à leurs articles.

Honnêtement, dans ces pages,  j'ai eu quelque angoisse, non pas générée par l'action, mais par tous ces détails dont certains sont sans intérêt. Voilà par exemple un extrait de la présentation d'un  fugitif qui "était né dans une petite ville du canton de Vaux" : "On l'avait prénommé Léonard, en hommage à son oncle, boulanger de son état, considéré comme l'homme qui avait réussi dans la famille. Son père, un mécanicien au parcours médiocre, avait quitté le domicile familial alors qu'il n'avait que huit mois. Il avait été élevé par sa mère jusqu'à ce que cette dernière meure d'un accident dans l'usine de fabrication de ressorts où elle travaillait. Il avait alors six ans." Suit un curriculum vitae complet (pratiquement une page) avec cette précision "Il conduisait exclusivement des Mercedes, la dernière étant une C AMG" (p. 56-57)... Voilà des détails que l'on ne retrouve nulle part ailleurs dans le livre, pas même un petit recoupement ou une brève allusion.

De même, dans ce pays où le peuple vit encore au Moyen-âge, les nantis sont vraiment des nantis et l'auteur a raison de nous le rappeler. En revanche, je ne suis pas certain qu'il soit nécessaire, lorsqu'un enquêteur visite la maison vide dans laquelle a été commis l'assassinat d'une personne riche, d'en faire une description contenant la couleur des peintures murales, le sol, les plafonds, les fenêtres, les rideaux, etc. Je ne peux en aucun cas nier que le décor dans lequel quelqu'un vit ne le décrive, mais il y a un moment où, après plusieurs visites (dans les pages 60 et suivantes) on a l'impression de visiter un château en suivant le guide, ce qui n'est pas vraiment palpitant!

Fort heureusement, une fois tout le décor mis en place, le lecteur peut commencer à se préparer à des montées d'adrénaline.

Une culture, un mode de vie...

Adrénaline et plongeon dans une civilisation que ne connaît pas le lecteur lambda que je suis. L'auteur met en exergue les problèmes de croyances existant dans ce pays : des problèmes de croyances, de conceptions de la vie, d'une lecture différente du Coran qui amènent les gens à s'opposer...

C'est ainsi, par exemple, que pour Oussama, qui est croyant et pratiquant, il n'est pas possible que sa propre épouse adhère, comme elle lui dira un jour l'avoir fait, à la Revolutionary Association of the Women of Afghanistan (p. 76) dont la fondatrice fut assassinée par les services spéciaux afghans ou par les islamistes. Il ne peut pas l'admettre à la fois par amour pour son épouse, craignant pour la vie de celle-ci, et en raison d'une conception qu'il ne peut pas renier : "C'est notre culture, notre mode de vie. C'est ainsi. En Afghanistan, les femmes portent le tchadri et la burqa depuis toujours." (p. 77). Ce à quoi, son épouse ne manque pas de répondre : "C'est l'obscurantisme qui a détruit notre pays, Oussama. Les Afghanes n'ont pas le droit de se laisser humilier plus longtemps par des hommes incultes. Ma mission de femme éduquée est de résister. Si je ne le faisais pas, je n'oserais pas me regarder dans une glace" (p. 77).

Tout cela nous éloigne quelque peu de l'action, une action dans laquelle beaucoup de gens s'agitent, mais comment ne pas suivre Cédric BANNEL dans cette civilisation qu'il connaît apparemment très bien ? Une civilisation qu'il présente avec adresse tout en menant l'action de "ses" réseaux.

C'est ainsi qu'Oussama Kandar se retrouve, en pleine action, dans un hôpital et nous montre, au passage, jusqu'où la croyance folle peut mener. Imaginez un  homme assis près de sa femme qui se vide de son sang et refuse que des médecins HOMMES l'approchent. Deux infirmières de l'hôpital viennent mais une autre famille les empêche de s'approcher parce qu'elles ne sont pas voilées : elles partent mettre une burqa mais la femme meurt dans son sang. Au moment où des brancardiers viennent chercher le cadavre, le policier dit au mari : "Vous laissez les hommes l'approcher maintenant ? ". Et, la réponse inattendue de tomber : "Maintenant, elle est morte, ce n'est pas grave qu'un homme l'approche " (p. 232)...

Cédric BANNEL doit être lu avec attention, sans être dérangé, car - en dehors de ses connaissances de l'Afghanistan, des pays limitrophes, de leurs us et coutumes, des ethnies - il lâche de temps à autre une phrase qui devrait être retenue. Ainsi, dit-il cette horreur, pourtant une vérité évidente qui devrait faire réfléchir nombre de journalistes à la recherche du scoop quoi qu'il arrive : "Une guerre qui ne tue pas d'innocents n'intéresse personne" (p. 317).

Difficultés de lecture

C'est un livre à ne pas manquer et l'on doit reconnaître que l'auteur nous emmène dans tout le pays pour nous faire découvrir les lieux, souvent l'état des lieux, les coutumes, certaines horreurs aussi.

Une fois de plus, je ne vous ai pas raconté l'histoire de ce livre qui est fort bien écrit: d'un style alerte et avec des phrases courtes, Cédric BANNEL a bien réglé le développement et le dénouement de cette affaire. Une affaire qui a fait de très nombreux morts par elle-même et parfois en faisant indirectement s'entretuer des gens n'étant aucunement mêlés à toutes ces attaques, guets-apens et tueurs professionnels. Sachez simplement que le commandant Oussama Kandar a fait l'objet à plusieurs reprises de ce que l'on appellerait un "contrat" dans d'autres pays et que, de guet-apens en guet-apens, il a perdu ses deux principaux collaborateurs qui étaient aussi ses amis.

Mais, à cette heure-ci, l'incorruptible Homme de Kaboul doit être parti enquêter sur une autre affaire : il y a tellement de crimes à Kaboul...

L'action - qui pourrait faire un bon film d'espionnage - et la découverte d'un pays et de ses hommes font la richesse de ce livre dont je regrette qu'il n'ait pas été traité, dans sa présentation finale, comme un essai.

De fait, les deux dernières pages consacrées aux remerciements de l'auteur à tous ceux qui l'ont aidé dans cette tâche longue et ardue et à une riche bibliographie n'auraient-elles pas pu présenter également un glossaire permettant à tous les lecteurs ne connaissant pas l'Afghanistan de tout comprendre. De fait, j'ai eu beau lire ce livre avec mes dictionnaires autour de moi, je n'ai pas tout compris et cela me laisse sur ma faim. Quelques mots pris au hasard : daktar, keffiehs, kâfir, tadjiks, pachtouns, hazaras, fatwa, dari, mollah etc... méritaient une petite explication. De même, une petite présentation des talibans, des chiites, brâhuîs, baloutches, etc... eut été appréciable.

Eh oui, je crains que le lecteur lambda ne soit comme moi et ne puisse pas tirer la substantifique moelle de cet ouvrage, ce qui serait dommage.

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