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L'homme de Kaboul
18 janvier 2011

Entretien avec Cédric Bannel

Edgar Belot : Cédric Bannel, comment vous est venue l’idée de ce roman ?

Je n’avais pas écrit depuis plusieurs années. Heureusement, une période de transition professionnelle m’a offert un break de quelques mois, et l’envie de réécrire est venue, naturellement. Ensuite l’histoire s'est en quelque sorte imposée à moi, par son personnage principal, le commissaire Oussama Kandar. L’idée d’un roman policier n’est pas un processus rationnel qu’on peut décrire facilement. C’est un moment très particulier de basculement : la seconde d’avant, vous n’avez rien en tête, celle d’après, le personnage est là, avec sa force, son histoire, son passé, et vous devez écrire. J’ai coutume de dire que nous, les auteurs, n’imposons jamais une histoire, c’est elle qui s’impose à nous. D’une certaine manière, nous ne sommes que des médiateurs.

 

EB : Est-ce plus difficile d’écrire sur l’Afghanistan que sur un pays plus classique ?

Oui, et non. Il faut évidemment un énorme travail de documentation pour saisir la vérité d’un pays, des gens qui l’habitent, qui y travaillent. En même temps, l’avantage d’écrire sur une zone assez vierge, en tout cas du point de vue du thriller, permet plus facilement de rendre une atmosphère, une originalité, puisque les lecteurs ne sont pas habitués au décor, à la manière très particulière de penser et de se comporter des Afghans.

EB : Ils sont si différents de nous ?

Ils sont à la fois très proches et très différents. C’est, je crois, ce qui est émouvant chez beaucoup d’entre eux. Oussama, sa femme, Malalaï, cela pourrait être vous et moi. Ils éprouvent beaucoup de sentiments proches des nôtres, ont souvent des réactions qui pourraient être les nôtres.  En même temps, on est déjà en Asie Centrale, dans un pays agricole qui n’a aucune tradition industrielle, au milieu d’une population éclatée en sous groupes culturels très différents, marquée de surcroit par trente ans de guerre ininterrompue : cela, plus le poids de l’Histoire, façonne une mentalité très particulière. L’Afghan ne ressemble à aucun autre homme dans le monde.

 

EB : Est-ce que le personnage d’Oussama peut vraiment exister ? Et sa femme Malalaï ?

J’ai rencontré des gens extraordinaires sur place, des Afghans qui veulent simplement faire leur travail et aider leur pays à se relever. Des policiers mais aussi des employés, des infirmières, des médecins qui gardent une grande dignité dans l’adversité et tentent de recouvrer une vie normale. C’est un grand exemple pour nous, occidentaux gâtés. Il y a beaucoup d’Oussama en Afghanistan, et la majorité d’entre eux ne sont pas des héros comme lui. Juste des gens normaux, des gens bien.

En ce qui concerne Malalaï, l’épouse d’Oussama, c’est un personnage très important du livre. Elle est médecin, elle a été formée par les Russes, elle est individualiste et féministe, mais elle sent bien que les Talibans n’ont pas perdu, que les intégristes referment leurs griffes inéluctablement sur le pays et sur les femmes afghanes. Il y a un côté désespéré chez elle, qui correspond à ce que j’ai senti chez ces femmes afghanes éduquées de Kaboul, de tous milieux, qui luttent autant qu’elles le peuvent pour la liberté. J’ai très peur qu’elles ne soient les victimes d’une real politik qui consiste à faire revenir les Talibans en sous main.

 

EB : La religion est-elle aussi présente en Afghanistan qu’on l’imagine ?

La situation est en réalité un peu différente de ce que j’imaginais. Les Afghans sont un peu comme les Protestants : ils croient profondément, mais pas de manière démonstrative. On ne voit jamais de gens prier dans la rue comme en Égypte, ni d’appels incessants au muezzin comme au Maroc. Il y a beaucoup de retenue et de pudeur dans la pratique individuelle de la religion. Cela ne vaut évidemment pas pour l’instrumentalisation politique de l’Islam, comme cela est le cas avec les Talibans, par exemple.

 

EB : On sent un travail d’enquête très fouillé sur place. Cela a été difficile d’enquêter sur le terrain ?

L'Afghanistan est un pays très dangereux, le plus dangereux du monde avec l’Irak, donc le travail de terrain était compliqué. Je rappelle que le salaire moyen est de 80 dollars par mois, et le prix d’un otage de 5 millions. Quant à l’espérance de vie d’un occidental en déplacement en dehors de Kaboul, l’US Army a calculé qu’elle est de 14 minutes… Dans ce pays, il faut donc être très professionnel, si on veut que les choses se passent bien. Déjà, il faut assurer soi-même sa sécurité, ce qui veut dire un véhicule blindé et des gardes du corps. Cela coûte cher, très cher, mais c’est indispensable si on veut sortir sans risque de la zone sécurisée du centre de Kaboul, et faire un vrai travail de documentation. Moi, j’ai fait le choix de gardes afghans parce que je préférais être protégé par ceux que je décris, je ne voulais pas me déplacer entourés d’occidentaux blonds avec des lunettes noires, j‘aurais trouvé ça déplacé, et pour tout dire un peu grotesque. Cela a nécessité beaucoup de travail préalable, de bons intermédiaires, mais le résultat a été à la hauteur de ce que j’espérais.

Comme il n’y a pas tant de visites que cela (les visa touristes ont été supprimés du fait de la situation sécuritaire), on est bien accueilli partout. J’ai pu voir ce que je voulais, comme je le voulais, rencontrer des hauts gradés et des policiers de la police criminelle, des médecins légistes, des membres des services de sécurité, comprendre comment tous travaillent. J’ai été frappé par la grande imprégnation que les Russes ont laissée derrière eux : un flic afghan travaille encore souvent comme un flic moscovite. C'est-à-dire très bien !

 

EB : Votre livre a été acquis par de grandes maisons d’éditions, aux quatre coins du monde, avant même sa sortie en France. Pourquoi ?

D’abord, je crois qu’il y a une forme de lassitude qui s’installe autour d‘une certaine littérature policière, avec le énième tueur en série qui découpe ses victimes en morceaux et les sème dans le métro… Trop c’est trop, les lecteurs et les maisons d’éditions veulent autre chose. Et puis, nous Français, nous avons une manière particulière d’écrire la littérature policière, moins froide peut-être, plus « culturelle ». Cet esprit français du polar plait aux maisons d’éditions étrangères.

 

EB : Sauf dans les pays anglo-saxons…

Raison pour laquelle je suis particulièrement heureux que les droits du livre aient été acquis pour la langue anglaise. C’est vrai que les Anglo-saxons ont tendance à considérer qu’ils n’ont pas besoin de nous dans le polar, qu’ils produisent suffisamment de romans policiers dans leur propre langue. C’est une attitude d’enfermement qu’on peut regretter. Du coup, Robert Laffont a vraiment été étonné et ravi lorsque nous avons eu ce retour enthousiaste d’éditeurs anglo-saxons, quelques jours à peine après qu’ils aient reçu le manuscrit.   

 

EB : Pour finir, on sent que vous aimez l’Afghanistan. Y retournerez-vous ?

Bien sûr, même si, comme je l’ai expliqué tout à l’heure, on ne se rend pas dans ce pays aussi facilement. Mais c’est un endroit qui vous marque : ces paysages grandioses et sublimes, cette culture à la fois moyen orientale, perse et d’Asie centrale, ces gens aussi « forts » sur le plan du caractère et de l’histoire : on ne sort pas indemne d’un voyage en Afghanistan. On a envie d’y retourner, forcément. Ce sera mon cas. Un jour.

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